New York, New York

le

J’ai de nouveau emprunté Lou à Mira, ou plutôt je lui ai encore envoyé dans les pattes mes deux artistes habituels, pour une petite visite de son chez lui. Voici la première partie de ce texte, j’espère que la ballade vous plaira ! Note importante : cette histoire se passe en deux langues, Lou et Desden parlant tous les deux à la fois le français et l’anglais. Les phrases en anglais seront en italique, les autres sont en français. C’est cependant beaucoup plus important pour la deuxième partie, puisque dans cette première, ils ne sont que tous les trois et parlent donc principalement français.

Bonne lecture !

Diane s’agitait sur son siège, assise en face de Desden dans le petit diner où ils devaient retrouver Lou. 

Elle l’avait fait régulièrement depuis le début du voyage, le jour d’avant. Même pendant leur vol de nuit, alors qu’ils parlaient à voix basse ou qu’ils essayaient de dormir, Desden l’avait sentie et entendue se tortiller à côté de lui dès qu’ils faisaient une pause dans leurs discussions. Il n’avait pas relevé, mais il n’en pouvait plus. 

« Qu’est-ce qu’il t’arrive ? » 

« Moi ? Rien. » 

« J’ai l’impression de voyager avec une anguille, depuis hier. C’est assez chiant. Et le décalage horaire aide pas. Qu’est-ce que tu veux dire que tu ne veux pas dire ? » 

Diane resta silencieuse un instant, puis grogna. 

« C’est cette phrase qui veut rien dire. »

Desden roula des yeux derrière ses lunettes, exagérant l’expression de façon comique en suivant le mouvement avec sa tête. 

« Alors ? » 

Diane souffla. Puis parla. 

« Alors, y’a que je te trouve super zen pour quelqu’un comme toi qui fait un voyage aussi long. »

« Quoi, comme moi ? » 

« Stressé. Anxieux. Comme tu l’es d’habitude quand tu pars pour le boulot ou que tu dois faire un truc qui te sort de ta routine. Et là on traverse la moitié du monde en avion, on va dans un pays où personne parle français, et toi, rien. T’es tranquille. »

Desden sourit. 

“Tu crois pas qu’il y a un facteur qui change ?” 

Il laissa Diane réfléchir quelques instants. 

“Non, je vois pas.”

Desden se pencha sur la table, se rapprochant de Diane avec un sourire en coin.
“C’est toi. Je suis pas tout seul, pas comme pour le boulot, je suis avec toi. C’est beaucoup moins stressant.” 

“Ah.” 

Devant le silence qui se prolongeait, il étendit une main pour toucher la joue de Diane, son sourire toujours vissé aux lèvres. 

“Mh. C’est très chaud tout ça. Tu dois être sacrément rouge.” 

“Arrête de te foutre de moi.” Diane grogna encore, puis sa voix se fit plus normale : “Ah, le voilà !” 

Diane avait aperçu de loin, à travers la vitre un peu sale, un grand jeune homme mince à lunettes et cheveux bouclés qui marchait rapidement vers leur établissement. Elle ne l’avait vu qu’en photo, mais elle était physionomiste, et il était plutôt facile à reconnaître. Le garçon avait un pli soucieux au milieu du front lorsqu’il entra dans le diner, mais son visage se détendit une fois qu’il vit Desden, et il reporta son regard vers Diane avec un sourire timide. Il les salua en français avec un accent un peu étrange, traînant, mais pas sans charme, qui ne lui demandait visiblement pas trop d’efforts. 

“Bonjour. Vous avez fait bon voyage ?”
“Salut, Lou !” Desden se décala sur sa banquette pour lui laisser une place, même si Diane doutait qu’avec Kalinka sous la petite table, il y ait encore de quoi y mettre ses jambes. Elle regarda Lou s’encastrer dans la petite place, précautionneusement, pendant que Desden continuait : “Je te laisse en face de Diane, ça sera plus utile. Comment tu vas ?” 

“Ca va.” Lou sourit de nouveau à Diane. Il avait un sourire très doux. « Vous avez commandé quelque chose en m’attendant ? » 

« Non, on s’est installés il n’y a pas cinq minutes. »  

« Je vous conseille les pancakes. C’est pour ça que je vous ai donné rendez-vous ici. Ça vous fera un parfait petit déjeuner, c’est les meilleurs du quartier. » 

« Va pour les pancakes. Diane ? »

« Euh, oui, merci. » Elle hésita, puis s’adressa à Lou. « Merci, Lou, contente de te rencontrer, et merci de parler français. Tu peux pas savoir comme je suis soulagée de t’entendre. J’aurais jamais cru être aussi nulle en anglais. Je veux dire, je le savais, mais… » Elle haussa les épaules. Elle avait un peu honte. « Je comprends vraiment rien. Heureusement que Desden est là. Et toi aussi, du coup. » 

Lou baissa les yeux d’un air gêné. 

« J’espère que mon français est assez bon… » 

Desden et Diane lui répondirent en choeur : « Mais il est parfait ! » 

Tous les trois éclatèrent de rire. 

Ils se turent lorsque la serveuse s’approcha. 

Elle s’adressa d’abord à Diane, bien sûr en anglais. Diane lui retourna un sourire crispé, en rougissant à nouveau, puis jeta un regard suppliant vers Lou, mais avant qu’il ne puisse répondre, Desden avait pris les choses en main, puis s’était tourné vers Lou qui avait répondu autre chose à la serveuse. Elle était ensuite repartie pour revenir presque immédiatement avec un plateau, trois énormes tasses, et une cafetière. Elle s’appliqua à remplir les tasses à ras bord, puis s’éloigna en leur parlant encore une fois, ce que Diane, bien sûr, ne compris pas. 

Elle regarda sa tasse, et elle devait avoir une tête bizarre, car Lou lui demanda, le pli soucieux revenant entre ses sourcils : 

« Quelque chose ne va pas ? » 

Diane releva la tête. 

« J’ai jamais vu des tasses de café aussi grandes. Desden, la tienne est à… dix heures, et à deux doigts de déborder. » 

« Je vais faire gaffe, merci. » 

Lou se détendit à nouveau. 

« C’est normal ici. Et c’est… comment vous dites… » Il se tourna vers Desden. « Free refill ? Comment tu dis refill ? » 

« Oh, » répondit Desden en se renversant du café sur les doigts en attirant sa tasse vers lui. « Tu veux dire qu’elle revient les remplir quand elles sont vides ? » 

Lou hocha la tête.

« C’est ça. » 

Diane regarda à nouveau son café avec horreur.

« Je crois que je comprends pourquoi Ash a autant de travail. » 

« Non, je crois pas que ce soit pour ça, non, » Desden, après avoir avalé sa première gorgée de café, semblait en train d’essayer vainement de ne pas grimacer. Diane allait parler pour rassurer Lou qui semblait à nouveau un peu mal à l’aise, mais Desden repris : « Il est… spécial, ce café. Un peu comme le café anglais, quoi… » 

« Il est comment le café anglais ? » Lou semblait vraiment curieux. 

« Long. Très long. Tu as déjà bu un expresso dans un restau italien, Lou ? » 

« Oui. » Il haussa un peu les épaules, et hocha la tête. « J’aime bien la nourriture italienne. »

« Ben il est comme ça, en France, le café. » 

« Ah ! D’accord… » Lou se mit à rire, en cachant un peu sa bouche avec sa main, ce que Diane trouva très mignon. « C’est sûr que c’est pas la même chose. » 

La serveuse revint avec deux énormes assiettes de pancakes, sous les yeux ronds de Diane. 

« Tout est plus gros chez vous. C’est impressionnant. » 

« Je t’avais prévenue ! » 

« Desden, tu dis ça, mais tu ne connais pas encore pas la taille de ton assiette. » 

Lou riait silencieusement devant les enchaînements de découvertes des deux français. Il commencait à comprendre leur dynamique. Il connaissait Desden, mais pas Diane, mais ils lui paraissaient s’être bien trouvés. Les remarques toujours un peu en demi teinte fusaient de chaque côté, et il se dit que oui, ils allaient bien ensemble, et ils étaient drôles, mais que lui trouverait ça fatiguant, avec ses amoureux. Il trouvait qu’il manquait l’équilibre d’une troisième personne. Ou peut-être que c’était lui, qui s’y était trop habitué. Mais c’était une bonne chose, de se rendre compte qu’il avait exactement ce qu’il lui fallait. 

Desden changea effectivement de tête une fois qu’il eût inspecté ce qu’il avait devant lui du bout de sa fourchette : 

« Elle ne finit jamais, cette assiette ! » 

Et Lou se proposa de les aider à terminer. Après tout, il était parti le ventre vide, un peu plus tôt, sachant où ils allaient se retrouver. 

Une fois les pancakes finis et avoir refusé une troisième tournée de café, ils décidèrent de se diriger vers le parc. 

Pour Diane, quand Lou prononça le mot, cela résonna plutôt comme Le Parc. Elle en avait tellement entendu parler, l’avait tellement vu à la télé, qu’elle n’attendait que ça. 

En fait, depuis qu’ils avaient quittés l’aéroport, elle buvait tout par les yeux en ayant l’impression d’être dans un film. Elle n’avait au départ pas osé le dire à Desden, par peur de le blesser un peu ; après tout, il perdait toute une dimension du voyage, même s’il paraissait lui aussi être assez dépaysé. Elle lui décrivait tout ce qu’elle pouvait, avec un enthousiasme non feint. Et quand ça avait finit par sortir tout seul, Desden avait rit, avant de lui expliquer qu’il s’attendait à ce qu’elle lui dise ça bien avant. Alors elle le dit aussi à Lou, qui marchait légèrement devant eux dans la rue, faute de place. Diane voyait déjà quelques arbres par dessus certains immeubles. 

« J’ai vraiment l’impression d’être dans un film. Tu vis dans un film, Lou. » 

« New York, c’est moins glamour que les films, mais j’aime bien cette ville. Il faudra que vous visitiez La Nouvelle Orléans, un jour. Ça vaut vraiment le coup. » 

« L’ambiance doit être sacrément différente. » Desden, au bras de Diane et avec Kalinka de l’autre côté, semblait lui aussi apprécier ce qui l’entourait. Il penchait la tête ici et là, et elle l’entendit renifler une ou deux fois. Diane essaya de se concentrer un peu plus sur ses autres sens que la vue, pour avoir une idée de son expérience, mais sans oublier qu’elle était aussi responsable de les guider tous les deux en suivant Lou. 

« Surtout à Mardi Gras ! » répondit celui-ci, continuant la conversation. 

« Ce serait peut-être un peu trop pour moi, » sourit Desden, c’est déjà limite avec New York, et il ne s’y passe rien de spécial en ce moment. » 

Lou se retourna à moitié : « En vrai, moi aussi je préfère en dehors de Mardi Gras. Mais souvent c’est ce que les gens veulent voir. » 

« Je crois que Diane et moi, on est pas vraiment des touristes ordinaires. » 

« Non, mais ici et à la Nouvelle Orléans, vous avez les guides parfaits pour les gens pas ordinaires, » sourit Lou, en venant se placer d’instinct de l’autre côté de Desden, avec Kalinka, alors qu’ils allaient traverser une grande avenue. Diane apprécia l’attention, et elle espérait que Desden s’en rendrait compte, lui aussi. 

Il y avait beaucoup de monde, en cette fin de matinée, et elle se demanda si les horaires avaient réellement un effet sur l’affluence dans les rues, à New York, puisqu’on l’appelait la ville qui ne dort jamais. Diane se dit qu’elle n’aurait jamais imaginé mettre les pieds dans cet endroit un jour. Elle était déterminée à ne pas en rater une miette, et papillonnait peut-être un peu trop – le mélange de fatigue et d’excitation y était aussi pour quelque chose. L’avenue à traverser, les amenant directement sur le parc, était immense, et bondée. La main de Desden sur le bras de Diane s’était contractée quand des gens avaient commencé à pousser un peu derrière, et elle s’était efforcée de ne pas se laisser distraire. Arrivés de l’autre côté, Desden avait remercié Lou de l’avoir un peu isolé en se plaçant stratégiquement, et elle avait vu ce dernier rougir en réponse. Ce pauvre garçon était tellement timide… mais elle savait qu’elle n’était pas tellement plus loquace. Elle essaya de faire la conversation. 

« Guide, c’est aussi ton métier c’est ça ? » 

« Oui, je suis guide au musée. Si vous voulez, on peut y faire un tour, il est à l’autre bout du parc. Mais c’est un peu loin, à pied. » 

« On peut marcher, ne t’inquiètes pas. On est bien entraîné, tous les trois ! » 

Lou s’amusa du fait que Desden semblait toujours parler pour deux. Diane le laissait faire. Elle était beaucoup plus discrète, sans sembler timide – ça, il connaissait. De sa part à elle, cela ressemblait plus à de la méfiance, mais surtout, elle avait simplement l’air de préférer les choses comme cela. Elle posait un regard assez intense sur tout, y compris sur lui, et Lou essayait de regarder ailleurs pour ne pas rougir d’être scruté. Quand elle parlait, c’était surtout pour décrire les choses importantes à Desden. Mais au fur et à mesure de la visite du parc, Lou se rendit compte qu’elle lui avait implicitement laissé la place sur ce rôle là, qu’il avait lui-même repris par habitude. 

Sa place de guide, ça le détendait, et parler devenait plus facile. C’était rare qu’il aie autant à décrire, mais ce n’était pas non plus la première fois qu’il avait un auditoire pour lequel il fallait s’adapter. Que ce soit pour n’importe quoi, une fois qu’il était dans son rôle, tout devenait plus facile, voire un challenge intéressant. Beaucoup se demandaient pourquoi et comment quelqu’un d’aussi timide et discret que lui faisait un travail avec autant de contact avec les gens. Mais raconter des histoires était plus qu’une passion pour Lou ; c’était dans sa chair, ses gènes, et c’était ce qu’il faisait de mieux, tout simplement parce qu’il était fait pour ça. Et puis, c’était l’histoire qui comptait. Il s’effaçait derrière, tout en la nourrissant. Ce n’était pas lui qu’on écoutait, c’était l’histoire.

Le regard de Diane sautait d’un côté à l’autre, avide de tout voir, et Desden avait une expression concentrée, et posait parfois quelques questions. A un moment, il s’arrêta de marcher, retenant Diane par son coude, qui se retourna avec un air un peu inquiet.

Lou arrêta de décrire parc, pour se tourner vers Desden.

« C’est bizarre… » Lou vit Desden pencher la tête d’un côté, puis de l’autre. « J’ai l’impression de… d’entendre le vent dans les arbres plus fort. Les feuilles, les grincements du bois… Ça s’est arrêté. » 

Lou sentit la chaleur lui monter aux joues. 

« Ah. Euh. Il faut que je vous explique. » Il jeta un coup d’oeil alentour, mais personne n’était à portée de voix. Il allait commencer, mais Desden fut plus rapide, et demanda avec un demi sourire – Lou ne savait pas s’il était surpris ou admiratif : « Ça venait de toi ? » 

Lou ne put s’empêcher de rougir jusqu’aux oreilles. Diane s’était tournée vers lui elle aussi, avec un air curieux. 

« Ça fait partie de ce que je peux faire. » 

« Tu fais quoi, exactement ? Comment ça se fait que ça marche sur Desden et pas sur moi ? » 

« Tu n’étais peut-être pas… focused. Pas assez, euh – » 

« Concentrée. »

« Merci, Desden. Et puis tu ne t’en es peut-être pas rendue compte. Je vais vous montrer, c’est plus simple. Vous voyez, le champ près du lac, là-bas, avec ces gens qui sont étendus au soleil ? » 

« Moi non, mais je suis sûre que Diane, oui. » 

Lou piqua du nez. 

« Pardon, je – » 

Diane donna une bourrade à Desden. « Desden. T’es pas drôle. Continue, Lou. » 

Desden grimaça. 

« Désolé, c’est plus fort que moi, mais je sais que tu ne cherches pas à mal, Lou. On t’écoute. » 

Lou remonta ses lunettes sur son nez pour se redonner contenance, et reprit : « Okay, euh. Elle est pas loin. Deux cent yards à onze heures. Hum… » 

« C’est un peu plus de deux cent mètres, je crois. Je vois. Merci. » Desden souleva ses lunettes le temps de faire un clin d’œil dans la direction de Lou, et Diane souffla d’exaspération seulement à moitié feinte.

« Okay. Alors… au printemps, ce champ est couvert de fleurs, ce sont des annuelles qu’on plante, mais comme des fleurs des prés, quand même. Comme une prairie. Il y en a de toutes les couleurs. Et… »

« Wow. » 

« … Elles sentent très bon. » Lou continua avec un sourire, voyant Diane bouche bée devant le champ. « C’est un parfum léger, mais très agréable, et très frais, un parfum de printemps… » Alors qu’il continuait à décrire, Lou jeta un coup d’œil à Desden. Lui aussi, à présent, souriait d’un air un peu béat, ses sourcils haussés par-dessus ses lunettes. 

Lou se tut. 

« C’est génial ! » 

Diane était captivée. Elle secoua la tête, comme pour s’ébrouer, puis répéta son compliment à Lou en se tournant vers lui. Desden était suffisamment proche pour lui tapoter l’épaule. 

« C’est impressionnant. » 

« Tu as vu les couleurs ? » Lou avait hésité à poser la question, et regretta en voyant Diane grimacer. Mais Desden souriait toujours. 

« Non. J’ai plus de mémoire visuelle. L’accident, et le temps. Mais le reste marche vraiment bien. Elles sentent super bon, tes fleurs, Lou. » Desden tapota à nouveau son épaule, son sourire devenant un peu contrit, comme s’il avait compris que Lou était mal à l’aise.

Lou, soulagé, lui répondit par un sourire qui, il l’espérait, s’entendrait dans sa voix. 

« Vous allez aimer visiter le musée, alors. » 

Mais le musée comportait un obstacle de taille.

Dun-dun-dun… ou plutôt *musique des Dents de la Mer* ceci est un cliffhanger ! à suivre !

Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. CharlotteK dit :

    J’aime beaucoup !
    Tes descriptions sont toujours aussi géniales, et j’adore comment les trois personnages interagissent, la découverte de New York. J’ai particulièrement aimé le passage sur Lou, sa passion des histoires, la sensation de s’effacer pour ne laisser place qu’à l’histoire, c’est quelque chose qui me parle beaucoup. J’adore la façon dont son pouvoir prend place et fascine Desden et Diane.
    Bref, c’est génial !

    J’aime

Laisser un commentaire